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Le Karate Jitsu .... c'est quoi ?
 

Pour répondre à cette question, nous vous laissons lire le descriptif fait Fabrice Caudron, ceinture noire 4ème dan, champion de France, professeur du club de Leers, et Maître de Conférence à L'IAE de Lille.


Tout pratiquant d’art martial finit par se demander, au bout de quelques mois ou de quelques années, « mais d’où vient donc cet art martial qui me fait transpirer trois fois par semaine ? ». Quand on me pose cette question en dehors des tatamis, à l’issue d’un entraînement ou lors des pots de fin de cours au club je réponds systématiquement la même chose : « C’est un art martial d’origine japonaise, un mélange de Karaté, de Judo et d’Aïkido mais dont la méthode d’enseignement a été repensée pour être adaptée au contexte français. Par contre si tu veux en savoir plus, les choses sont un peu plus compliquées et là j’ai vraiment pas le temps. » L'écrit c’est fait pour ça, prenons donc le temps, armez-vous d’un stylo pour bien tout retenir (ça m’évitera de répéter lors du prochain entraînement) et d’un peu de patience…

En guise de préambule, les sources : vous trouverez beaucoup de choses intéressantes sur Wikipédia, le site du club de Maubeuge, les livres de Roland Hernaez, Hiroo Mochizuki, Roland Habersetzer ou encore Jim Alcheik. Commençons par lever une ambiguïté : dans sa forme originelle le Taï-Jitsu n’a rien à voir avec le Karaté. Pour simplifier, nous sommes souvent amenés à dire que le Taï-Jitsu, c’est un style de Karaté, dans sa partie self-défense. C’est vrai pour sa pratique actuelle au sein de la Fédération Française de Karaté. D’un point de vue historique, c’est totalement faux.


Le Moyen-âge


Depuis peu, il semble y avoir un accord : on retrouve les origines du Taï-Jitsu en plein Japon moyen âgeux, celui des samouraïs et des multiples écoles d’arts martiaux dont le nom dépendait surtout de la famille qui l’enseignait. Il s’agissait donc d’une discipline martiale pratiquée à mains nues, cousine du Ju Jitsu et de l’Aiki Jitsu notamment. Mais une parmi une multitude d’autres disciplines que devait appréhender chaque samouraï. D’emblée on comprend que le Taï-Jitsu n’a rien à voir avec le Karaté : quand le Taï-Jitsu était pratiqué sur l’île principale du Japon (Honshu) par les élites de l’époque (les samouraïs), le Karaté (et surtout le Kobudo) était pratiqué sur une petit île du Sud du Japon (Okinawa) par des paysans qui se voyaient interdire le port des armes. Rien à voir donc… sauf si l’on s’intéresse à l’histoire contemporaine du Taï-Jitsu où les disciplines se rapprochent. Et c’est bien cette période qui nous intéresse non seulement pour comprendre ce qu’est le Taï-Jitsu mais aussi parce que les conditions sont très différentes : quoi de commun entre un pratiquant d’aujourd’hui, aussi rigoureux et assidu soit-il, et un samouraï entraîné à vivre dans des conditions particulièrement difficiles, apprenant à décapiter un adversaire avec son sabre avant même de savoir marcher (ok j’exagère un peu), habitué à guerroyer toute l’année (du moins à partir du mois de mars et jusqu’au début de l’hiver), heureux de mourir (cf. le Seppuku, appelé de façon vulgaire « Hara Kiri ») et dont la constitution physique était infiniment plus robuste que la nôtre. Je ne vous parle pas non plus de ces karatékas d’Okinawa, tous paysans ou pêcheurs, habitués à vivre dans des conditions pour le moins spartiates et pratiquant des exercices physiques à longueur de journée sous un climat particulièrement difficile. Des dizaines de coups de poing dans un tronc d’arbre étaient pour eux un simple petit entraînement (cf. tous les documents d’archive recueillis notamment par Me Kenji Tokitsu) quand un coup un peu trop fortement porté sur un sac de frappes nous laisse plusieurs jours de douleurs… Le tout dans une société qui autorisait parfois le pratiquant à s’isoler plusieurs années dans les montagnes pour méditer. Comment se comparer à ces Hommes ? Retour au XXème siècle.


Le Taï-Jitsu moderne


Pour le Taï-Jitsu moderne tout commence vraisemblablement en 1957 lorsqu’un Français amateur d’arts martiaux, Jim Alcheik, proposa une nouvelle discipline axée sur l’autodéfense, ce qui deviendra le Taï-Jitsu. Il venait de suivre pendant plusieurs années, au Japon, les cours de Minoru Mochizuki, lequel fut (attention tenez-vous bien) : 10ème dan d’aïkido, 9ème dan de jujitsu, 8ème dan de iaido, de judo et de kobudo et enfin 5ème dan de kendo, de karaté et de jo-jutsu. C’est l’un des élèves directs de Jigoro Kano (fondateur du Judo), de Morihei Ueshiba (fondateur de l’Aïkido) et de Gichin Funakoshi (fondateur du Karaté Shotokan). De là vient l’idée que le Taï-Jitsu est un mélange de Karaté, Aïkido et Judo, affirmation à la fois vraie et fausse, vous l’aurez compris.
Jim Alcheik décida d’importer un « mélange » des disciplines enseignées par Mochizuki dans son Dojo du Yoseikan sous le nom de Taï-Jitsu, avec le soutien de ce dernier, qui envoya même son fils en Europe (Hiroo, aujourd’hui 9ème dan et que nous avons pu croiser lors du stage des experts japonais de septembre 2010) la même année. En 1958, Jim Alcheik crée la Fédération Française d’Aïkido, de Kendo et de Taï-Jitsu (FFAKTJ). Avant de poursuivre, notez que Hiroo Mochizuki est aujourd’hui le représentant et l’inventeur de l’école Yoseikan (Yoseikan Budo), très proche finalement du Taï-Jitsu, pour la simple et bonne raison qu’au départ le Taï-Jitsu est quasiment la version française de ce qui se pratiquait au Dojo Yoseikan !

En 1962, Jim Alcheik meurt pendant la guerre d’Algérie à l’âge de 31 ans. Il était 3ème dan de Judo, 4ème dan d’Aïkido, 2ème dan de Karaté, 2ème dan de Kendo et 2ème dan d’Iaï-Jitsu (encore le mélange). C’était un des grands précurseurs des arts martiaux en France, à la manière d’un Henry Plée ou d’un Roland Habersetzer pour le Karaté, mort trop tôt. Ses élèves prennent la suite avec pas mal de dissensions, nous en resterons donc à la branche qui a donné naissance à ce que nous pratiquons aujourd’hui tout en considérant que nous aurions pu tout aussi bien pratiquer de la même façon ou presque le Yoseikan Budo ou l’Aïkido-jiu-jitsu.

La nouvelle école se développe, au point de créer en 1972, sous la direction de Roland Hernaez, la Fédération Française de Taï-Jitsu. Mais cette volonté de développement se trouve confrontée à une réalité française : pour pouvoir enseigner il faut des diplômes, et pour avoir des diplômes (d’Etat) il faut pouvoir organiser des formations et les délivrer… ce qui n’est reconnu qu’aux Fédérations délégataires, dont la fameuse Fédération Française de Karaté. En 1977, le protocole d’accord est signé. La première Coupe de France aura lieu en 1981. Les choses se structurent mais elles se fissurent aussi entre les pratiquants les plus gradés. En 1983, c’est Daniel Dubois qui décide de faire scission et de créer sa propre tendance avec le soutien de la FFKAMA. En 1985 la « branche Hernaez » décide de quitter la FFKAMA (en conflit avec « la branche Dubois » qui était aussi la nôtre jusqu’à récemment…) pour se rapprocher de la Fédération Française de Judo qui souhaite relancer le Ju-Jitsu qu’elle étouffait jusque-là. La FFJDA y voit là matière à renforcer les clubs d’où partent tous les pratiquants adultes. Seul le Judo axé sur la compétition comptait jusqu’alors. C’est un échec (la fédé de Judo, contrairement à la fédé de Karaté, est particulièrement homogène dans sa pratique et donc très peu ouverte aux innovations) et la « branche Hernaez » revient à la FFKAMA, sous le nom de Nihon Taï-Jitsu (Taï-Jitsu « authentiquement » japonais, affichant un lien fort avec le Japon et plus respectueux des pratiques originelles quand le Taï-Jitsu « branche Dubois » se rapproche de plus en plus du Karaté).

Au début des années 2000, le Taï-Jitsu connaît une nouvelle scission avec la création du Taï-Jitsu Do par Daniel Dubois, qui quitte la FFKAMA pour la FEKAMT (Fédération Européenne de Karaté et Arts Martiaux Traditionnels). Les causes en restent obscures mais la question de l’argent (l’utilisation de vos licences) est souvent une cause de discordes… Entre temps, certains gradés tentent des rapprochements au travers du Taï-Jitsu Ryu, c’est un échec.
Je vous avais prévenu l’histoire est compliquée… Ce qu’il faut retenir de tout ça ? Que le Taï-Jitsu est multiforme et qu’il est cousin de beaucoup d’autres disciplines. Celle-ci ne diffèrent que par les choix qui ont été faits par les plus hauts gradés. Le fond reste très proche au final. Cela fait de lui une pratique martiale bien plus répandue que ses effectifs actuels (près de 5000 adhérents à la FFKDA) ne le laissent penser ! Si vous cumulez les différentes écoles, vous arriverez facilement à dénombrer plus de 20 000 pratiquants.

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